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Pour une pédagogie positive
17 septembre 2017

Un art du dialogue

Bavardages4

Les considérations qui suivent s'inscrivent dans la série "bavardages" car elles font suite à la réflexion proposée sur le bon usage de l'exclusion. Mais elles répondent à une nécessité plus large de dialoguer dans toute situation de conflit. Ce qu'enseigne la Communication Non violente, c'est de chercher par tous les moyens à maintenir une relation de qualité. "Il vaut mieux être heureux qu'avoir raison", martèle Thomas d'Asembourg. Voilà une maxime très utile pour les éducateurs que nous sommes...

Premier principe : donner la parole à l'élève. Voudriez-vous me dire ce qu'il s'est passé pour vous avant votre exclusion de cours ? Que pouvez-vous dire de cette situation ? Laisser parler l'élève lui donne les moyens de s'expliquer, de dire les choses de son point de vue et peut apporter des informations imprévues : il était malade, préoccupé ; il était en train de faire quelque chose d'utile que nous n'avons pas perçu ; un autre élève l'a perturbé ; il n'a pas les mêmes conceptions de la norme scolaire que nous. J'ai pratiqué à plusieurs reprises cette semaine le principe de demander aux élèves exclus d'écrire sur ce qui les a conduits à être renvoyés avant de revenir me voir en fin d'heure. J'ai trouvé les élèves plus calmes et plus aptes au dialogue que dans les situations de conflit que j'ai connues précédemment. Cette semaine, un élève que j'avais renvoyé de cours parce qu'il n'avait pas son livre m'a appris qu'il avait des problèmes de dos et qu'il souffrait d'être trop chargé. Au lieu de lui asséner les règles scolaires, j'ai cherché avec lui quelles solutions étaient possibles pour qu'il ait son matériel sans avoir à le transporter. Je ne doute pas d'avoir ainsi amélioré la qualité de sa présence en classe et de son travail à  venir.

Deuxième principe : avant même de répondre, reformuler. Si je comprends bien, il s'est passé cela et cela pour vous, et vous avez cru bien faire en... Un élève agit rarement à l'encontre des règles pour le plaisir. Il le fait parce  qu'à ce moment, étant donné les contraintes et les besoins qui sont les siens, c'est la meilleure solution pour lui. Il est important de reconnaître cette logique si l'on souhaite améliorer la situation de l'élève dans la classe. 

Cette empathie profonde pour l'autre ne doit pas pour autant faire disparaître notre présence. Quand il y a difficulté relationnelle, il est important que les deux parties puissent faire un bout de chemin pour se rejoindre. J'ai été frappée de la manière dont Marshall Rosenberg s'y prenait pour demander avec insistance qu'un élève en situation de conflit reconnaisse les sentiments et les besoins de son professeur (Enseigner avec bienveillance, p. 80-84). Pour ma part, j'ai tendance à systématiquement ravaler mes émotions en me disant que je ne fais que mon métier et que mes sentiments n'ont pas à interférer avec des situations professionnelles. C'est sûr. Sauf que notre métier est d'entretenir une relation pédagogique de qualité pour que la transmission du savoir puisse se faire pleinement. Quelle relation peut-il y avoir si nous n'existons pas ? Nous nous plaignons souvent du manque de respect de nos élèves.  Mais comment peuvent-ils nous respecter s'ils ne savent pas que nous sommes là ? Donc : Je me sens énervée et irritée contre vous parce que j'ai besoin de penser que mon travail est utile. Et, pour cela, la moindre des choses est que je sois sûre que tout le monde est dans de bonnes conditions pour entendre ce que j'explique. Quand je vous vois parler en même temps que moi, je pense que vous ne pouvez pas entendre ce que j'explique et que votre attitude invite vos camarades à se déconcentrer eux aussi.

Il importe, malgré tout, de veiller à dissocier l'observable de son interprétation. Ce sont parfois nos interprétations hâtives qui entretiennent certains conflits que nous pourrions désamorcer en refusant d'avoir raison trop vite. Quand je vous vois parler en même temps que moi, je pense que vous n'écoutez pas ce que je dis. Ce qui n'est pas la même chose que : comment voulez-vous entendre ce que je dis si vous parlez en même temps que moi ? 

Enfin, formuler la demande : Voulez-vous que nous réfléchissions ensemble à ce que vous pouvez faire pour être plus attentif à ce que je dis dans la classe ? Là, entre en jeu une analyse qui doit se montrer empathique - et ce n'est pas facile - par rapport aux facteurs qui favorisent l'envie de bavarder : agitation intérieure, préoccupations, sollicitations extérieures, ennui... L'enjeu n'est pas seulement de comprendre ce qui se passe ou d'aider l'élève à le comprendre mais de faire émerger le besoin non satisfait : appartenance au groupe, reconnaissance dans la classe, sécurité affective, stimulation intellectuelle... L'un des élèves que j'ai exclu pour bavardages cette semaine avait simplement besoin de pouvoir échanger avec ses camarades qu'il ne connaît pas encore bien et avec qui il a besoin de créer du lien. A partir de là, on peut proposer à l'élève de chercher avec lui ce qui peut être fait en amont ou en aval de la situation pour que le problème disparaisse : comment parler à ses camarades, comment régler les problèmes matériels, comment faire la part entre ce qui se passe dans la salle de classe et en dehors, comment enrichir l'intérêt même pour ce qui semble rebutant à première vue...

Je pense qu'il faut quitter l'élève avec le sentiment que ses besoins ont été perçus et que ceux-ci sont réellement pris en compte, mais aussi avec l'affirmation du caractère immuable du cadre (en classe, on est attentif à ce qui se passe pour le travail scolaire).

Dans les notes que j'avais prises cet été à ce sujet, j'avais écrit : "Il faudrait que l'élève nous quitte avec des solutions qu'il pense pouvoir mettre en pratique pour mieux vivre avec ce cadre dont il a besoin aussi". Et puis, j'ai lu Cessez d'être gentil, soyez vrai de thomas d'Ansembourg, autre grand spécialiste de la Communication Non Violente. Je me suis rendu compte que ce désir est contre-productif. Il est assurément préférable de considérer l'élève comme quelqu'un qui a toutes les ressources en lui pour résoudre ses problèmes par lui-même. Le rôle de l'enseignant n'est pas dans les directives qu'il donne, mais dans le miroir qu'il tend par son écoute et dans la bienveillance avec laquelle il maintient le cadre. Il ne s'agit pas de dire "Les règles sont celles-ci, débrouille-toi pour t'y conformer". Mais, "Les règles sont celles-ci. Comment peux-tu faire pour grandir grâce à elles ?"

 

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