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Pour une pédagogie positive
14 novembre 2017

Ecrire librement... C'est obligé, madame ?

Roman-OpalkaDepuis la rentrée, mes élèves commencent leur premier cours avec moi par un temps d'écriture libre au cours duquel ils sont invités à exprimer sur un cahier de leur choix les idées qui leur viennent ou, si l'inspiration est en panne, ce qu'ils auraient à dire à propos d'un sujet que je leur soumets : comment se passe votre rentrée ? qu'êtes-vous fier d'avoir réalisé ces temps-ci ? quels sont les pays que vous aimeriez visiter ? rédigez le bulletin météo de votre humeur du moment...

En début d'année, cet exercice s'est avéré plus difficile que je ne l'avais anticipé. Les élèves se sont montrés déconcertés d'avoir à écrire sans consigne et sans échéance d'évaluation car ils sont très habitués à écrire pour être notés. L'écriture pour l'écriture - pire encore, pour le plaisir d'écrire - est quelque chose de très incongru pour eux. Il a fallu trouver comment se poser dans cette consigne étrange d'être obligé d'écrire quelque chose qui n'est pas contraint par ailleurs et qui ne regarde que soi. Et je ne parle pas de l'intériosation nécessaire à ce type d'exercice, qui n'est manifestement pas l'activité la plus familière en classe ou dans la vie personnnelle de certains. Dans les premières semaines, j'ai eu donc à faire face à de nombreux comportements de refus, polis certes, d'élèves qui n'écrivaient pas, s'avachissaient sur leur table ou bavardaient et que je devais rappeler à l'ordre à maintes reprises. Comme je comprenais l'ampleur de la difficulté, j'ai restreint la contrainte à dix minutes d'écriture libre, contre le quart d'heure que j'envisageais en commençant.

J'ai aussi laissé libre cours à des initiatives qui ont eu comme effet premier de perturber ceux qui avaient du mal à se lancer, mais qui me semblaient très intéressantes. Un élève s'est mis à écrire des chiffres les uns à la suite des autres. Cela a pu sembler provocateur aux camarades qui l'entouraient. Mais j'y ai reconnu une parenté imprévue avec le geste de l'artiste Roman Opalka, qui produit des séries de toiles couvertes de chiffres pour évoquer le caractère irréversible du passage du temps. Cette perspective est assurément loin des projections conscientes de mon élève dans son travail. Il s'agit pour lui de jouer avec l'écriture informatique, et cela me semble un bon début vers la création artistique...

Quant aux autres, ils témoignent progressivement de leur entrée dans l'écriture. Certains se sont officiellement procuré un carnet et n'envisagent plus d'écrire ailleurs ou d'en arracher une page pour rendre servive à un camarade. La forme majoritaire est celle du rectangle précédé d'une date. Mais, depuis peu, j'entrevois aussi des poèmes, des chansons, voire des écritures plus éclatées sur la page qui tiennent à la fois de la carte heuristique et du mandala.

Il reste encore des élèves qui n'écrivent pas. J'aime les regarder perdus dans leurs pensées. C'est comme si un texte encore illisible se formait peu à peu dans leurs esprits. J'ai donc bon espoir d'atteindre le quart d'heure d'écriture libre pour tous d'ici le mois de juin... En attendant, je me réjouis d'observer comment chacun accède peu à peu à son intériorité.

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