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Pour une pédagogie positive
14 mars 2018

Qu'apprend-on quand on choisit ?

choix

L'ensemble des messages que j'ai publiés concernant l'intérêt que je porte à laisser une part de choix aux élèves quant aux sujets qu'ils étudient pourrait laisser l'impression que je fais cela par gentillesse, recherche du consensus, voire "démagogie", - ce mot qui stigmatis les dérives des enseignants trop désireux de bien s'entendre avec leurs élèves... J'ai récemment eu un échange à ce sujet avec l'une de mes collègues qui m'a objecté qu'on ne peut pas chercher "le tout-plaisir" quand on éduque, et qu'il faut bien que les enfants et les adolescents apprennent à accepter la contrainte.

A cela, je réponds premièrement que, malgré tous mes efforts, la part de la contrainte est encore très élevée dans ma pédagogie, car bien souvent, le choix n'est qu'un point de départ pour un travail dont le contenu et les exigences restent fixés par moi, en conformité avec la norme scolaire. Dans ce cadre, je considère qu'il ne faut pas mésestimer le besoin de plaisir des élèves et de l'enseignant comme soutien à l'effort que demandent les apprentissages prévus par l'école.

Mais surtout, ma démarche ne se donne pas comme objectif le "tout-plaisir", mais le "tout-responsabilité". Donner à un élève ou à une classe la possibilité de choisir, dans le panel des oeuvres, des auteurs ou des thèmes possibles, ce qu'il leur importe le plus d'étudier, c'est les rendre acteurs de leur formation. Comment peut-on encourager une personne, quel que soit son âge, à se sonstituer une culture personnelle s'il ne lui est jamais possible de dire, je me reconnais mieux dans l'art de Corneille que dans celui de Racine, ou j'ai plus d'intérêt pour une réflexion sur la publicité que sur l'écologie ? A partir du moment où des élèves choisissent au moins en partie ce qu'ils étudient, ils deviennent responsables de la manière dont ils se projettent dans les savoirs qui leur sont dispensés. Je me souviens d'une extraordinaire séquence où, parce que les élèves étaient attirés par l'adjectif, nous avions travaillé sur Les Nouvelles orientales de Maguerite Yourcenar. Dans ce choix, bon nombre de mes élèves avaient mis leur envie de retrouver certaines de leurs racines magrhébines ou proche-orientales. Or, l'Orient de Marguerite Yourcenar se situe essentiellement dans les  Balkans et en Extrême-Orient. Nous avions pu travailler sur leur déception en définissant plus précisément ce qu'est l'Orient, en réalisant que c'est essentiellement une projection d'Européen et en prenant conscience des stéréotypes qui caractérisent les Orientaux. Je suis sûre que je n'aurais pas pu faire parcourir un trajet aussi riche à cette classe si je lui avais imposé la lecture de nouvelles de Maupassant, auteur que j'aime beaucoup, mais qui ne leur disait rien à eux.

En outre, le débat que j'avais avec ma collègue portait sur l'ampleur du choix que nous devions laisser à des élèves avec qui nous réalisons un journal lycéen. Choisir librement le sujet de son article et la manière de le traiter constitue le seul moyen d'apprendre à devenir auteur. Il ne suffit pas de mettre son nom sur un texte pour en devenir l'auteur ; il faut engager - ce mot qui compte tant pour moi - la personne que l'on est dans l'écrit que l'on produit. A l'heure où Internet donne tant de moyens de diffuser des propos abjects sous couvert d'anonymat, apprendre aux jeunes à prendre leur parole au sérieux est devenu une mission de salut public. Notre rôle d'éducateur est de refuser que l'écrit ne soit qu'un exercice intellectuel pour obtenir des diplômes. Choisir, c'est décider d'être porteur d'une question et d'assumer la responsabilité de son propos. Il me semble important que les élèves expérimentent le fait que, lorsqu'on se respecte, on n'écrit pas ce que l'on n'assume pas.

Enfin, je crois que le temps que l'on passe à accompagner les élèves dans un choix est du temps gagné pour l'ouverture culturelle. A chaque fois que je prends le temps de faire choisir aux élèves le thème de la prochaine séquence, l'oeuvre que nous allons étudier, ou la prochaine sortie que nous allons faire, je suis obligée de faire en sorte qu'ils se fassent une idée la plus précise possible des sujets qui leur sont proposés. Nous devons à chaque fois feuilleter le manuel, lire des textes ou faire des recherches documentaires. Je constate que ce temps élargit le champ des connaissances pour les élèves car les sujets finalement abandonnés sont malgré tout reconnus comme d'un intérêt légitime.  Un élève qui aurait quand même envie de s'y investir peut toujours le faire à titre personnel. C'est une idée qu'il n'aurait pas eue si j'avais décidé seule du travail de la classe. Avec mes élèves de seconde et de première année de BTS, je termine systématiquement la semaine par une demi-heure de "lecture libre". Je mets à leur disposition un carton de livres empruntés au CDI pour une période de vacances à vacances. En fin de période, je prends un temps pour leur demander ce qu'ils aimeraient trouver dans le carton à la rentrée suivante. En février dernier, mes élèves de BTS m'ont demandé des livres sur les évolutions technologiques, les voyages et le sport, sujets d'étude possibles pour notre programme et qui ont déjà été défendus par certains pour le choix de nos séquences. Je constate qu'en plus du cours qu'ils reçoivent collectivement, chacun se construit une culture personnelle conforme aux attentes de leur formation. Que demander de plus ?

Pour ceux que je n'aurais pas réussi à convaincre que donner le choix est une question d'efficacité pédagogique et non un enjeu relationnel, j'ajouterai que les séances où les élèves décident de ce qu'ils vont étudier donnent lieu à une pratique de l'argumentation extrêmement formatrice. Je vois souvent des groupes mobilisés en nombre pour une question qui leur tient à coeur se trouver finalement en minorité parce que  leur capacité à défendre leurs choix a été surpassée par un ou des élèves qui ont trouvé comment faire adhérer les autres à leur proposition. L'ensemble des élèves fait l'expérience du fait que c'est celui qui a les mots qui a le pouvoir. Cela me paraît une bonne éducation au débat démocratique.

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